Science ou science-fiction: Le non-conformisme de genre est-il un trouble mental?

Le mot trans est un terme générique qui désigne un groupe diversifié de personnes dont l'identité ou l'expression de genre ne sont pas conformes aux attentes de la société1. Le fait d'être trans, que l'on appelle également non-conformisme de genre, est souvent interprété à tort comme un trouble mental. Il a été prouvé que la dépression, les troubles d'anxiété et les comportements suicidaires (suicidabilité) sont plus courants chez les personnes trans que dans la population non transgenre, mais la raison se limite-t-elle à l'identité de genre? Que savons-nous vraiment de la santé mentale des personnes trans?

Confondre différence et maladie

Jusqu'à tout récemment, nous en savions très peu sur le lien entre non-conformisme de genre et santé mentale. Des informations contradictoires véhiculées par les médias, des études dépassées et un changement de terminologie dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) de l'American Psychiatric Association font en sorte qu'il est difficile d'établir une distinction entre la science et la science-fiction. À la suite de l'ajout du trouble d'identité sexuelle comme catégorie de diagnostic dans les versions précédentes du DSM, de nombreuses personnes trans ont été considérées comme atteintes d'une « maladie mentale » sur la seule base de leur identité de genre. Autrement dit, l'état de transgenre a été étiqueté comme un trouble mental, et donc le non-conformisme de genre, comme pathologie. Si le fait de considérer le non-conformisme de genre comme une pathologie a toujours été contesté par les collectivités trans et leurs alliés, des études novatrices nous permettent de mieux comprendre la santé mentale des personnes trans et ont effectivement prouvé que la différence ne tient pas de la maladie. Toutefois, la différence peut rendre les personnes trans vulnérables à des formes d'exclusion sociale qui compromettent leur santé de manière considérable.

Les données scientifiques

Selon de nouvelles études menées dans le cadre du projet Trans PULSE, les taux élevés de dépression et de suicidabilité chez les personnes trans sont attribuables à des expériences de transphobie et de discrimination1234. La transphobie a été définie comme « une peur irrationnelle des personnes dont l'identité, l'apparence ou le comportement ne sont pas conformes aux normes sociales pour ce qui est des genres, ou encore une aversion ou une discrimination envers ces personnes »5. Dans le cadre du projet Trans PULSE, initiative financée par les IRSC, 433 personnes trans âgées de 16 ans et plus ont été interrogées dans la province de l'Ontario. D'après les résultats de l'étude, 98 % des répondants ont vécu au moins une situation de transphobie, et 96 % ont entendu dire que les personnes trans n'étaient pas normales6. Parmi les répondants, 20 % ont été victimes d'une agression physique ou sexuelle à caractère transphobique, tandis que 34 % ont fait l'objet de harcèlement ou de menaces verbales4. L'étude a confirmé qu'il y avait une corrélation entre les expériences de transphobie et l'augmentation du risque de dépression et de suicidabilité.

Le taux de prévalence de la dépression était élevé chez les participants : 66,4 % des individus du spectre femme à homme et 61,2 % des individus du spectre homme à femme de l'Ontario ont fait état de symptômes concordant avec ceux de la dépression23. Parmi les personnes trans de l'Ontario, environ les trois quarts ont déjà sérieusement envisagé le suicide : 50 % ont dit l'avoir envisagé pour des raisons liées à leur expérience de personne trans, et 27 %, pour des raisons qui n'étaient pas liées au fait d'être trans7.

La transphobie nuit à la santé mentale et physique des personnes trans. La transphobie est un obstacle à l'accès à un revenu stable, au logement, aux soins de santé et aux services sociaux1. Le soutien social et identitaire est essentiel à l'amélioration de la santé mentale des personnes trans2348. Chez les jeunes trans, par exemple, le fait de bénéficier d'un soutien parental solide a été associé à une diminution de 93 % du nombre de tentatives de suicide déclarées9.

Conclusion

Le non-conformisme de genre, ou le fait d'être trans, n'est pas un trouble mental. De nouvelles données probantes révèlent que le risque accru de dépression et de suicidabilité chez les personnes trans est associé à des expériences de transphobie et de discrimination. Les initiatives antitransphobie visant à contrer les répercussions de la transphobie jouent un rôle clé dans la protection de la santé mentale des personnes trans.

Le projet Trans PULSE

Trans PULSE (en anglais seulement), projet de recherche orienté sur la collectivité et mettant en application des méthodes mixtes, vise à évaluer les répercussions de l'exclusion sociale et de la discrimination sur la santé des personnes trans en Ontario. Trans PULSE s'emploie à véhiculer l'information nécessaire pour changer les politiques et les pratiques en vue d'améliorer la santé des collectivités trans.

Références

Notes en bas de page

Note en bas de page 1

Bauer, Greta R., Hammond, Rebecca, Travers, Robb, Kaay, Matthias, Hohenadel, Karin M. and Boyce, Michelle. « "I Don't Think This Is Theoretical; This is Our Lives": How Erasure Impacts Health Care for Transgender People », Journal of the Association of Nurses in AIDS Care, vol. 20, nº 5, 2009, p. 348-361.

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Note en bas de page 2

Rotondi, Nooshin K., Bauer, Greta R., Travers, Robb, Travers, Anna, Scanlon, Kyle and Kaay, Matthias. « Depression in Male-to-Female Transgender Ontarians: Results from the Trans PULSE Project », Revue canadienne de santé mentale communautaire, vol. 30, nº 2, 2011, p. 113-133.

2

Note en bas de page 3

Rotondi, Nooshin K., Bauer, Greta R., Scanlon, Kyle, Kaay, Matthias, Travers, Robb and Travers, Anna. « Prevalence of and Risk and Protective Factors for Depression in Female-to-Male Transgender Ontarians: Trans PULSE Project », Revue canadienne de santé mentale communautaire, vol. 30, nº 2, 2011, p. 135-155.

3

Note en bas de page 4

Bauer, Greta R., Pyne, Jake, Francino MC, Hammond R. « Suicidality among trans people in Ontario: Implications for social work and social justice / La suicidabilité parmi les personnes trans en Ontario : Implications en travail social et en justice sociale. » Revue Service social, vol. 59, nº 1, 2013, p. 35-62.

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Note en bas de page 5

Serano, Julia. Whipping girl: A transsexual woman on sexism and the scapegoating of femininity. Emeryville: Seal Press, 2007, p. 12.

5

Note en bas de page 6

Marcellin, Roxanne L., Scheim, Ayden, Bauer, Greta and Redman, Nik, « Experiences of Transphobia among Trans Ontarians / Les expériences de transphobie parmi les personnes trans d'Ontario », Bulletin électronique de Trans PULSE, vol. 3, nº 2, 7 mars 2013.

6

Note en bas de page 7

Scanlon, Kyle, Travers, Robb, Coleman, Todd, Bauer, Greta and Boyce, Michelle.« Ontario's Trans Communities and Suicide: Transphobia is Bad for Our Health / Les communautés trans en Ontario et le suicide : la transphobie est mauvaise pour notre santé », Bulletin électronique de Trans Pulse, vol. 1, nº 2, 2010.

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Note en bas de page 8

Moody, Chérie and Smith, Nathan Grant. « Suicide Protective Factors Among Trans Adult », Archives of Sexual Behaviour, vol.42, 2013, p. 739-752., ROTONDI, Noushin K. « Depression in Trans People: A review of the Risk Factors », International Journal of Transgenderism, vol. 13, nº 3, 2012, p. 104-116.

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Note en bas de page 9

Travers, Robb, Bauer, Greta, Pyne, Jake, Bradley, Kaitlin, Gale, Lorraine and Papadimitriou, Maria. « Impacts of Strong Parental Support for Trans Youth », Trans PULSE, 2 octobre 2012.

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